S’il se refusait catégoriquement à courber l’échine face aux interdictions qu’on lui imposait, ce n’était pas tant par bravoure ou impertinence, mais plus par conviction, par soucis d’entretenir son fieffé penchant, lequel exerçait sur lui une influence dont il était incapable de se départir. La culotte. Un simple mot, qui donnait pourtant un sens à sa vie, et pas des moindres. Si l’on avait l’habitude de critiquer cette religion à laquelle il se dévouait corps et âme, on ne pouvait toutefois que reconnaitre à sa juste valeur sa rigueur, sa fougue et sa dévotion. Et bien que cette piété lui ait attiré un nombre interminable de problèmes, il n’entendait pas s’arrêter là. C’était même tout le contraire. Bob voyait son amour pour les sous-vêtements féminins se décupler de jour en jour.

De même, il se découvrait un début d’attrait pour le gain, pour l’argent et toutes les possibilités qui s’y rattachent. S’il pensait initialement nourrir un intérêt fermé et convergé sur les culottes, à mesure qu’il découvrait la vie en société et ses rouages embusqués, cette idée s’effritait. Non, il n’y a pas que les sous-vêtements sur Terre Bob. Il y a bien d’autres choses qu’un homme peut posséder. Telles étaient les chuchotements que tenait la conscience de Bob à sa raison, aussi alambiquée soit-elle. Cette récente illumination profita aussi bien au Vice Amiral Tchong qu’au sniffeur de culottes. La mission du jour collait effectivement à ce nouveau fil d’Ariane étoffé par l’appât du gain, notion encore naissante et fragile, loin d’égaler l’importance que revêtait la quête de culottes dans l’esprit comme dans les entrailles de Bobby.

Tchong, comme il avait coutume de le faire, convoqua Bob sur le pont, afin de lui transmettre toutes les informations nécessaires au bon déroulement de la mission. Le Vice Amiral y mettait d’autant plus de minutie qu’il connaissait le pourcentage de réussite de Bob. Ce dernier flirtait avec le ground zéro, ni plus ni moins. Mais Tchong s’efforçait de croire en son sous-fifre au crâne pourpre, décelant chez lui un certain potentiel, en dépit des échecs entassés sur son dossier calamiteux - il était du genre opiniâtre, cela va sans dire. Aujourd’hui, Bob agirait seul. Il allait pouvoir mettre à profit ses talents au jeu, ayant tapé le carton plus d’une fois depuis son embrigadement sur le navire, raflant les pots sans jamais n’en laisser un aux mains de ses coéquipiers.

C’est là les paroles que tint Tchong, comme pour stimuler Bob, les flatteries ne laissant personne insensible, même un abruti fini de ce calibre. Et ce n’était pas son sourire béat qui semblait ne plus vouloir décroître qui allait dire le contraire. Comme enorgueilli par ces paroles, Bob fit preuve d’une inhabituelle concentration, buvant chacun des mots que prononçait son supérieur tout comme il enquillait fiévreusement les litres de grenadine. Le roi d’Ilusia, vaste territoire sur lequel il s’apprêtait à poser pied, jouait avec la vie de ses concitoyens comme il s’adonnait à ses quotidiennes parties de carte – étant réputé pour ses dangereuses addictions aux jeux de chance -, par l’intermédiaire d’un grand tournoi qu’il avait sciemment organisé.

Si le gagnant du tournoi était sûr d’être grassement récompensé, le Roi enfreignait tout de même les plus anciennes et sacrées règles de bienséance, bafouant à blanc les immémoriaux droits de l’homme. Les hauts placés de la Marine jugeaient ces agissements aussi grotesques qu’impardonnables, c’est pourquoi le contingent Tchong avait été sommé d’intervenir afin de mettre un terme à cette chienlit qui ridiculisait la toute puissance du Gouvernement et de la justice. Et c’était à Bob que revenait le privilège de cette intervention. Il était doué pour les cartes – il était surtout chanceux jusqu’à l’os -, certes, mais c’était donner de la confiture à un cochon que de lui confier cette responsabilité… C’est tout du moins ce que pensaient intimement les compagnons de Bob. Et, dans le fond, ils avaient entièrement raison.

N’en déplaise à ces langues de vipère, Tchong avait jugé opportun d’envelopper Bob de ce voile héroïque, qui aurait vite fait de le délaisser s’il avait le malheur de se faire repérer. Mais ce n’était pas dans les projets du sniffeur de culottes. Il comptait bien s’acquitter de sa mission, et pouvoir au passage empocher le premier prix, en espérant secrètement qu’il soit composé de mailles et d’or. Aussitôt le briefing terminé, le Vice-Amiral ordonna à Bob de se mettre en marche, la tête haute, le torse bombé. Mais alors qu’il était sur le point d’embarquer à bord de l’esquif qui le mènerait jusqu’au Royaume d’Ilusia – prudence et discrétion étant requises pour ne pas alerter les gardes côtes d’Hector Thalassa -, Bob fût interpellé une dernière fois par Tchong, désireux de s’assurer que tous les détails avaient bien été enregistrés.

- Sous-Lieutant BOB ! Êtes-vous bien certain d’avoir compris votre rôle ? Savez-vous précisément ce que vous avez à faire sur cette île ?

- Ouais, pas de problème Chef… Ouais… Pas de problème… Pas de problème…

- Est-ce de l’hésitation que je perçois ?

- Hm ? Ou ça ? J’vois rien moi.

Laissant s’échapper un soupir de dépit, le Vice-Amiral observa Bob se mettre à l’eau, incapable de se convaincre qu’il avait fait le bon choix. Mais il était trop tard. La route d’un héros n’est pas aussi droite et paisible qu’on l’imagine. Elle serpente dans l’abrupte montagne des dangers et des sacrifices. Bobby n’était pas un héros. Alors au diable cette foutue montagne, il était temps de débarquer sur les plages d’Ilusia. Ce fût chose faite après quinze minutes de navigation – la distance qui le séparait du cuirassé aux falaises du Royaume nécessitait sept ou huit minutes de ramage tout au plus, mais il avait fractionné son voyage de petites pauses durant lesquelles il reprenait son souffle, tout en essayant d’attribuer aux nuages des formes de culottes.

On eu tôt fait de l’accueillir sur l’île, une poignée de molosses en uniforme à la botte de Thalassa filtrant les entrées et sorties du Royaume selon ses propres volontés. Deux d’entres-eux, placés devant un immense pont-levis par le biais duquel on accédait au flanc Est de la cité, obligèrent Bob à dévoiler les raisons de son passage, carabine en main. Dans la foulée, il fût contraint à se décharger de la taxe d’entrée, élevée à 50 000 Berry’s par Thalassa pour faire ses choux gras et financer ses activités illégales. Suite à cela, l’un des deux tas de muscles agrippa l’épaule de Bob de ses doigts charpentés, puis approcha sa mine rigide jusqu’à ce que leurs pointes de nez respectives s’effleurent.

- Hé l’visiteur, ça te dirait d’participer au tournoi de poker organisé par notre roi ?, l’intonation de sa proposition ayant tout de l’injonction, aussi bien dans le fond que dans la forme.

- * La vache, il pue de la gueule * Un tournoi de poker ? Faut voir, y’a quoi à gagner ?

- La récompense est tenue secrète, mais le gagnant aura plus jamais besoin de travailler, pour sûr.

- Mouais, un coffre de culottes et un joli magot ça m’aurait bien botté, mais là…

- Va pour les culottes et le magot étranger. Suis nous maintenant, c’est l’heure de jouer.